Modèle émergent au croisement des enjeux sociaux et environnementaux de l’alimentation, les épiceries sociales et solidaires en mixité de public s’engagent un peu plus encore pour un accès de tous et dans la dignité à une alimentation choisie et de qualité. En étroite collaboration avec le Secours Catholique, l’UGESS a mené une étude afin de justifier l’importance de l’ouverture de ces espaces à un public dit « solidaire », sans difficulté économique particulière, dans l’optique de permettre au plus grand nombre d’accéder à une alimentation saine
16 % de la population française est en situation de précarité alimentaire selon une étude du CREDOC. Une personne sur deux en situation de précarité alimentaire ne fait pas appel à l’aide alimentaire, la raison principale étant la honte qu’elle ressent de franchir le pas ou la méconnaissance des dispositifs. 29 % des personnes qui fréquente des structures d’aide alimentaire souffrent d’obésité… Tous ces chiffres viennent en appui du constat que l’aide alimentaire, telle qu’elle a fonctionné depuis le début des années 80, arrive à bout de souffle.
Ainsi, de multiples initiatives ont émergé afin de faciliter l’accès aux populations les plus précaires à une alimentation de qualité, le tout dans le respect de la dignité des personnes. Les épiceries en mixité de public tentent de répondre à ces enjeux de qualité, de respect et de pouvoir d’agir, dans la lignée de la définition de la lutte contre la précarité alimentaire, introduite dans la code de l’action sociale et des familles par la loi EgAlim de 2018 :
« La lutte contre la précarité alimentaire vise à favoriser l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale.
Elle s’inscrit dans le respect du principe de dignité des personnes. Elle participe à la reconnaissance et au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement. L’aide alimentaire contribue à la lutte contre la précarité alimentaire. »
Les épiceries sociales et solidaires ouvertes à tous fonctionnent de la manière suivante :
- Elles proposent des tarifs différenciés : entre 10 et 50 % du prix moyen du marché pour les personnes en situation de précarité, dans certains cas, un prix coûtant sur certains types de produits, et un prix pour les clients dits solidaires
- Elles essaient autant que faire se peut de masquer les différences entre les différents types de publics, dans la limite des contraintes liés aux financements publics ou à la proposition de produits issus de la ramasse, réservés aux personnes précaires puisque subventionnés.
- Elles ouvrent leurs portes aux personnes concernées qui peuvent s’impliquer dans le fonctionnement de l’épicerie et participer aux différentes activités proposées.
Plus qu’une simple épicerie, un véritable lieu de vie
Que ce soit de la part des bénévoles ou des personnes concernées par les injustices alimentaires, tous mettent en avant le caractère socialisateur de l’épicerie ouverte à tous. Certain.e.s en viennent jusqu’à souligner que l’alimentation est un prétexte pour permettre de créer du commun et du lien social de proximité, ceci quel que soit sa situation sociale.
Acheteuse solidaire ou aidée, toutes voient en ce lieu bien plus qu’un simple commerce alimentaire. Finalement, tout le monde est bénéficiaire, le public solidaire étant beaucoup plus varié qu’on ne le croit. Tous viennent chercher dans ce lieu un peu d’humanité, en s’éloignant de la seule relation purement économique de l’achat de denrées.
Certains bénévoles ou acheteurs solidaires peuvent être dans une situation de précarité sociale ou d’isolement. Venir à l’épicerie faire ses courses devient alors un prétexte pour parler, échanger, passer un moment convivial et oublier un peu les tracas du quotidien. Il apparaît que d’autres personnes considérées comme « solidaires » dans l’épicerie, ont en réalité une situation économique très fragile, mais ils ne souhaitent pas franchir les portes de l’aide alimentaire. L’épicerie, par sa démarche esthétique, par son ouverture sur l’extérieur, constitue alors une porte d’entrée qui permet peu à peu d’approcher ces personnes et de leur permettre d’accéder à leurs droits et donc de lutter contre le non-recours via l’orientation vers un travailleur social.
Pour les acheteurs aidés, la mixité est importante dans cette idée de garder de l’estime de soi, d’être accepté « tel que l’on est », ouvrant la porte à l’implication dans le collectif. Ces espaces, souvent de petites tailles comparés au supermarché, permettent alors d’être non-anonyme, tout en étant reconnu non pas pour sa situation économique, mais tout simplement pour ce que nous sommes.
A ce titre, il faut souligner l’importance de l’épicerie en tant que lieu bien identifié. L’effort qui est fait notamment pour rendre l’endroit chaleureux, la proposition d’un espace pour échanger et proposer les activités est essentiel.
Travailler sur la qualité des produits et la démocratie alimentaire
L’épicerie en mixité de public s’intègre plus régulièrement encore dans une démarche d’approvisionnement vertueuse, notamment avec les producteurs à proximité, que ce soit pour une raison militante et/ou par l’ouverture à un public sans difficulté économique particulière. Ainsi, public précaire ou non précaire peut avoir accès à ces produits de manière équitable, via la tarification différenciée :
On constate au sein des structures la tension qu’il peut y avoir entre la proposition d’une alimentation de qualité, en lien avec l’agriculture biologique et la frontière que les acheteurs aidés peuvent dresser avec ce type de produits (avec l’idée, parfois justifiée, de prix plus élevés, mais justes et rémunérateurs pour le producteur). L’épicerie sociale et solidaire devient alors un lieu de sensibilisation, permettant de déconstruire certaines idées, en proposant des produits issus de l’agriculture biologique et locale à prix abordable possible grâce aux divers financements publics et privés.
Cette sensibilisation peut s’inscrire dans des démarches de démocratie alimentaire. L’ouverture à tous les publics favorise naturellement ces démarches innovantes en matière d’alimentation, en permettant de faire le lien avec les personnes concernées par les injustices alimentaires. L’effet sur les personnes qui participent à ces démarches est réelle : ce processus de (re)prise en main des enjeux liés à l’alimentation permet de changer son regard sur la situation de l’agriculture, sur la nécessité de revendiquer un véritable droit à l’alimentation.
En conclusion, cette étude sur l’utilité sociale des épiceries en mixité de public nous a permis de confirmer certaines intuitions des personnes qui s’engagent au sein de ces structures. La mixité doit être prise en compte de manière globale. En effet, la mixité économique est au service d’un projet de mixité sociale et culturelle. C’est avant tout un espace renforcé de diffusion de la solidarité où les frontières entre public solidaire et public aidé deviennent un peu plus floues. C’est un lieu de citoyenneté où l’implication de chacun est favorisée en absence de stigmatisation liée à la condition sociale. D’ailleurs, toute les personnes qui fréquentent ce lieu sont bénéficiaires : outre l’accessibilité économique, l’épicerie rompt une précarité sociale, elle permet le partage de savoir et la montée en compétence. Elle permet à certains d’accéder plus facilement à leurs droits, en surmontant la stigmatisation que peut apporter une aide alimentaire plus classique. L’alimentation est alors le support pour permettre aux personnes de se rencontrer et créer ensemble.
Même si le mot d’épicerie est finalement réducteur tant les activités d’une épicerie en mixité sont multiples, elle remplit ce rôle via un ancrage renforcé sur le territoire, en développant des approvisionnements plus vertueux, notamment en circuit-court et en agriculture biologique. Elle sensibilise sur les enjeux d’une alimentation saine et diversifiée en créant du commun et de la convivialité. Ainsi, la mixité (et l’activité commerciale qui en résulte) n’est au service que d’un seul but : favoriser l’accès à l’alimentation des personnes précaires et renforcer leur pouvoir d’agir. Il faut d’ailleurs préciser que si la mixité peut permettre de renforcer la part d’autofinancement, ces projets ne peuvent se passer de financements publics ou privés complémentaires.
Vous êtes une épicerie sociale et solidaire ouverte à tous et vous souhaitez travailler sur la mesure de votre utilité sociale ? N’hésitez pas à nous contacter !